Comment l’élimination de Ben PLG au premier tour a empêché la France de sombrer dans le chaos ?
Les univers parallèles n’existent pas que chez Marvel. Le rap français aussi a ses réalités alternatives, dans lesquelles les évènements ne se sont pas déroulés de la même manière. Dans un autre monde, NTM n’a pas périclité après son quatrième album ; Booba et Kaaris ne se sont jamais croisés à Orly ; Vincent Cassel a remplacé son frère au sein d’Assassin ; Diam’s n’a jamais arrêté le rap, elle a même sorti un album commun avec Sinik …
L’élimination de Ben PLG par Shay dès le premier épisode de Nouvelle École a été l’une des grosses surprises du show Netflix. Actif depuis une décennie, particulièrement productif ces trois dernières années, le rappeur nordiste dispose à la fois d’une grosse expérience et d’un succès critique solide. On aurait donc espéré le voir poursuivre l’aventure Nouvelle École plus loin, d’autant que les autres candidats n’ont rien démontré de transcendant au cours des différents épisodes.
Ben PLG a tout de même su rebondir, d’abord en rejouant son élimination le temps d’un clip, puis en publiant coup plusieurs projets, portant son total à 5 sorties sur l’année 2022. Le vainqueur du télé-crochet, Fresh, a de son côté exploité à merveille le coup de projecteur : en plus de la récompense de 100.000 euros, il a profité de sa nouvelle exposition pour sortir un album, À l’abri, réalisant 5000 ventes dès sa première semaine d’exploitation.
Que se serait-il passé si les rôles avaient été inversés ? Fresh aurait-il réussi à inviter Sch, Niska et Shay sur son album ? Qu’aurait fait Ben PLG des 100.000 euros, lui qui calcule le budget de ses clips en nombre de frigos remplis ?
Tout commence deux jours avant son freestyle dans le parking face à Shay. Ben PLG est au volant de sa Clio 2 sur les routes du Nord, feux de détresse allumés, en train de rapper sur le bruit des clignotants. Ce grand gaillard, toujours gentil et désireux d’aider son prochain, s’arrête pour ramasser deux autostoppeurs. L’un des deux s’appelle Christian, et s’inquiète intérieurement : il a des symptômes de covid, mais ne dit rien à personne, de peur de devoir descendre du véhicule et finir son trajet à pieds. Fiévreux, il prend sur lui pour ne pas paraître malade. Deux autotests et un PCR en laboratoire s’avereront pourtant négatifs : ce n’est pas le covid qui guette, mais la grippe.
Quarante-huit heures plus tard, Ben PLG doit assurer son freestyle pour espérer poursuivre l’aventure Nouvelle École. Malheureusement pour lui, les premiers symptômes sont déjà là : une barre dans la tête, la gorge douloureuse, et un mélange désagréable de frissons et de sueur. Résultat : il démarre son freestyle en bégayant, manque de conviction dans son interprétation et se trompe même en rappant une punchline (“je donne des noms de joueurs de Ligue 2 aux contrôleurs, j’donne des noms de Ballons d’Or à mes gosses” devient “je donne des noms de Ballons d’Or aux contrôleurs, j’donne des ballons de beuh à mes gosses”).
Face à une performance aussi mauvaise et peu maîtrisée, Shay est conquise. Ben PLG est qualifié pour le tour suivant, où il impressionne facilement les autres jurés. Sch le décrit comme le “Jul du Nord”, aussi bien pour la coupe de cheveux que pour la sincérité des textes, Niska considère qu’il est “tellement bon qu’il pourrait venir du 91”. Seule Shay est déçue de son choix : Ben PLG ne bégaye plus, ses textes ont du sens, et il est techniquement irréprochable. Face à la pression de ses deux collègues, la rappeuse belge doit finalement céder : le nordiste parvient en finale, et remporte la première édition de Nouvelle Ecole.
Première décision de Ben après sa victoire : refuser l’énorme kichta promise au vainqueur. Incapable de dépenser une somme à six chiffres, lui qui est “y’a mieux mais c’est plus cher”, il pense dans un premier temps virer les 100.000 euros à sa mère, ou s’en servir d’apport pour lui acheter une maison. Maman PLG refuse l’argent, elle lui demande juste de lui racheter un canapé, parce que le sien s’affaisse. Elle en profite pour lui mettre une tape derrière la tête : quelle idée de gagner 100.000 euros et de s’en servir pour s’endetter auprès d’une banque en achetant une maison à crédit ? Finalement, l’argent finit dans la caisse Petits Frères des Pauvres, une association qui vient en aide aux personnes âgées isolées.
S’il refuse le chèque, Ben PLG s’engouffre en revanche dans les portes que l’émission lui a ouvertes. Son premier clip, On a tous gagné, remet en scène sa victoire en finale, à un détail près : ses adversaires sont invités à venir participer à la fête, et à la fin, tout le monde gagne. L’initiative est appréciée par Sch et Niska, qui partagent le clip, mais pas par Shay, qui tweete “nous on se casse la tête à les départager, à faire des sélections, à choisir un vainqueur, et lui, il fait gagner tout le monde ? bitch”.
De son côté, Ben PLG refuse d’entrer en guerre. En interview avec le média Intrld, il tente de calmer le jeu : “elle a mal pris mon initiative de réunir tout le monde, c’est un peu dommage, mais je ne lui en veux pas. Elle a eu de l’importance dans mon parcours, elle m’a sélectionné au premier tour alors que j’ai livré une performance catastrophique. Force à elle”. La rappeuse répond via une story instagram : “Je l’ai selectionné au premier tour parce que sa performance était excellente. C’est la suite qui m’a déçue. Il avait toutes les qualités d’un rappeur moderne : médiocre, hésitant, confus. C’était l’avenir. Désormais, c’est le passé”.
Pour enterrer la hache de guerre, Sch prend l’initiative de réunir Shay et Ben PLG, en plus de Niska, sur le titre Nouvelle école du crime, présent en bonus sur l’édition physique de son projet Autobahn. Cette réunion de famille, pensée pour remettre les compteurs à zéro, se transforme rapidement en chaos complet : Shay profite de son couplet pour placer “Boss bitch, j’ai pris cinq fois ce qu’a pris Ben sur Nouvelle École” ; le rappeur nordiste répond sur son propre couplet “mais j’ai refusé l’argent, cinq fois zéro ça fait toujours zéro ! ?” ; Niska en remet une couche “pendant le tournage de Nouvelle École j’avais un barreau atroce” ; et même Jul s’en mêle, en attaquant directement Sch et Ben PLG au détour d’une rime dans un titre inédit, La main sur le cœur : “pendant que j’suis plein de soucis, l’autre il invite mon sosie”.
Dans ce contexte très compliqué, Ben PLG ne se pose pas trop de questions : il passe par Soso Maness, avec qui il vient d’enregistrer un featuring, pour contacter Jul, et lui proposer une rencontre. Organisée à Marseille, celle-ci se déroule sans accrocs : les deux potentiels rivaux s’entendent à merveille, réunis par leur amour des Clio 2, la simplicité de leurs personnalités respectives, et leurs similitudes capillaires. Après avoir passé toute une soirée ensemble, ils finissent dans la cabane du J, à écouter des prods et freestyler. Alors que Ben PLG devait repartir le lendemain matin de la gare Saint-Charles, il reste finalement 3 nuits sur place. Le quatrième jour, au lever du soleil, le double-album commun Jul PLG est prêt.
Décrivant la même dure réalité, celle des bas-fonds de Marseille et des ruelles de Roubaix, de la misère sociale, du peuple qui peine à boucler ses fins de mois et s’insurge face au prix de l’essence, le projet réalise un carton dès sa première semaine d’exploitation. L’impact est tel qu’Emmanuel Macron réagit publiquement : “C’est bien vu. Le duo Jul PLG décrit quand même la société comme un sociologue”. Jul répond via son compte instagram “sur pépé baisse l’essence Macron, les petits y galèrent, et encore, moi ça va je touche plus de sous que toi”.
Sch profite de l’occasion pour se réconcilier avec son ami Jul, relayant son message et incitant lui aussi les décideurs politiques à faire plus pour le peuple. Au sommet de sa popularité avec le carton de sa mixtape Autobahn, Sch est particulièrement suivi et son message est lui aussi relayé par d’autres artistes : Dinos, Kofs, Kaaris, suivent le mouvement. Même Lacrim, qui prépare la sortie de son album commun avec Mister You, s’y met : “malgré nos désaccords avec Sch, il est temps de laisser tomber les vieilles rancunes et de s’unir pour soutenir les gens qui galèrent !”.
L’exemple est suivi par Fianso, qui publie quasiment le même message : “on s’est pris la tête avec Lacrim, mais il a raison : il est temps de laisser tomber les vieilles rancunes et de marcher ensemble”. Pour renforcer son propos, il re-publie son titre Coluche (2018), son refrain révolutionnaire (“Imagine que j’prends mon téléphone, imagine que j’leur donne rendez-vous / À la Bastille, j’unirais des hommes de tous les quartiers au garde à vous”), avec en légende “Imagine on le fait #Bastille #RDVdemain15h”.
Quelques heures plus tard, la France entière marche plus ou moins pacifiquement vers la Bastille. Hormis quelques bonnes échauffourées avec les forces de l’ordre, il ne se passe pas grand-chose sur place, puisque la Bastille n’est plus qu’une place où le café et la limonade sont trop chers. Malgré la présence de la police dans les rues parisiennes, le peuple réuni par le rap français parvient lentement mais sûrement à avancer en direction de l’Ouest, à parcourir les 6 kilomètres qui le séparent de l’Elysée.
Il est 22 heures quand les portes du palais cèdent face à la marée humaine. Évidemment, le Président est parti la veille, pour se réfugier loin de ce climat révolutionnaire. Sur place, la résistance ne dure pas longtemps. Quelques heures avant minuit, les médias annoncent qu’Emmanuel Macron a été destitué officiellement par le peuple, et que la Vème République prend fin. Une nouvelle allocution présidentielle est annoncée.
A minuit pile, tous les français sont fixés sur l’écran de leur smartphone ou de leur télévision. Le nouvel homme fort de l’Etat français n’est ni un homme, ni français. Aux manettes d’un véritable coup d’Etat, Shay s’assoit derrière le bureau présidentiel, et s’adresse au peuple : “Boss, bitch. Maintenant, on va jouer selon mes règles”.
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