Ça fait quelque temps que ça dure, mais c’est encore plus vrai en cette fin 2022 : le bilan annuel du rap français ne peut qu’être elliptique vu le nombre de sorties. Le site Genius, référence en matière de rap, comptabilise entre 750 et 800 projets pour ces douze derniers mois. On est loin des années 1990, décennie brillante en termes de classiques, mais numériquement en sous-effectif.
On commence donc, dans l’ordre chronologique, par Jazzy Bazz et son ambitieux Memoria, qui joue la carte luxe avec 7 feats pour 17 titres, parmi lesquels Nekfeu et Alpha Wann. Rayon hardcore, grosse association de malfaiteurs de la rime avec l’album commun de Kaaris & Kalash Criminel, la paire de Sevran, SVR, trop rare exemple d’album en commun façon Jay Z/Kanye ou Jay Z/R. Kelly, sans l’idéologie douteuse de Ye, ni les dingueries de Kelly.
Vald, en marge de son affrontement virtuel avec Booba, le king of clash, a un peu déçu avec V, qui contenait quand même l’excellent duo avec Orelsan, Peon, et promet mieux avec VV5, sortie prévue en 2023. Orel, quant à lui, a prolongé le triomphe de Civilisation avec son “édition ultime” contenant dix inédits, dont le très acide OK, Super…, Évidemment avec Angèle en feat et quelques tracks intimes sur tempo accéléré.
Disiz, après un long silence, a trouvé L’Amour sur son nouvel album, certifié disque d’or notamment grâce à Rencontre, un son avec Damso le champion du feat qui tue (Angèle, Kalash, Aya Nakamura et Selah Sue le savent). Côté 667, aka, La Ligue Des Ombres, pas de nouveau Freeze Corléone mais la Nouvelle Ère d’Osirus Jack sur lequel est évidemment invité Freeze (Lampadaire Pt. 2) mais aussi le très allumé Roi Heenok sur Trilogie, aux lyrics politiquement très incorrects dans lesquels il évoque un “cinquième Reich”, référence second degré (on l’espère) au film de 2009, OSS 117 : Rio Ne Répond Plus. Après ces “mathématiques plus techniques que le Cosinus”, on retrouve avec plaisir Lefa qui prouve une nouvelle fois avec Démineur son talent pour le flow en onze morceaux sans feats, “en avance d’au moins dix mille heures” (Terrain Miné).
Une année riche en créativité
Révélation de ces dernières années, Josman multiplie les réussites et s’affirme avec M.A.N. (Black Roses & Lost Feelings), très axé sexe comme le prouvent L’Oeil De La Joconde et Hasta El Cielo, feat Eazy Dew & Soleil Noir. On reste dans le sombre avec Étoile Noire 2.0 : ZLM de Luv Resval, tragiquement disparu à l’âge de 24 ans, dont ce disque maîtrisé est le quatrième volet de sa saga étoilée précédée d’Étoile Noire : Brise Monde/Nébuleuse/2.0, dont on retiendra entre autres Hadès en duo avec Lujipeka.
Côté réédition, c’est le retour de la Mafia K’1 Fry avec Jusqu’à La Mort. Youssoupha ouvre son Neptune Terminus (Origines) avec un single lumineux dont le clip a été tourné à Soweto, Amapiano, sur une rythmique pneumatique typique de cette house électro sud-africaine. Autres révélations 2022, So La Lune avec Fissure De Vie et Tiakola avec Mélo, tandis que Kalash confirme avec l’album Tombolo que son triomphe avec le single Mwaka Moon (feat Damso) ne devait rien au hasard. Demi-Portion joue avec le langage sur Mots Croisés, LIM livre une doublette hardcore avec Brutale et Bad Boy tandis que Dadju confirme son statut de superlover avec le très mellow Cullinan, sorti sur la lancée de son premier rôle au cinéma dans Ima de Niels Tavernier. Driver fait le taf avec Pour Toujours, Médine met sa carte d’identité en couverture de Médine France sur lequel il reprend le fameux slogan de Passi, “La France Au Rap Français”, et Alonzo part en balade dans les Quartiers Nord de sa ville.
À Paris, C.Sen retrouve le producteur de La Cliqua, le fameux Chimiste, pour l’album Confidentiel, où il confesse sur Tolérance Zéro que “l’album de la maturité, non, ce n’est pas pour tout de suite“. Soolking propose Sans Visa, Seth Gueko Mange Tes Morts et le S-Crew SZR 2001, tandis que le stakhanoviste marseillais Jul double la mise avec Extraterrestre et Cœur Blanc, soit 64 nouveaux morceaux qui conforteront les fans dans l’admiration de leur idole et ne changeront pas l’avis des haineux qui le détestent.
Soso Maness débarque À L’Aube et s’assure les loyaux services de Maes (Parapluie), Josman (Carré Rouge), Dinos (À L’Aube), Mac Tyer ( DLC ) et Vladimir Cauchemar (L’Hymne Du Pogo). Secret le mieux gardé du hip-hop marseillais (bien qu’il vienne de Nice), Veust trace sa route avec un nouveau disque, Ce Bon Vieux Veuveu, dix titres avec en feat l’ami sûr, Akhenaton, sur J’Ai Du Boulot Pour Toi et Alpha Wann sur Première Classe, plus deux apparitions du Niçois Infinit. Calbo d’Ärsenik sort enfin son solo dont le titre est un raccourci du premier album réalisé avec son frère Lino, Quelques Gouttes De Plus.
Après un long silence de plus de trois ans (une éternité en années rap), Bigflo & Oli font leur retour avec Les Autres C’Est Nous, album validé par une poignée d’invités de prestige comme MC Solaar, Julien Doré, Francis Cabrel et Tayc. Annoncé par le single Sacré Bordel, ce quatrième album studio prouve la longévité de ce duo fraternel qu’on retrouvera aussi à l’affiche du nouveau film d’Astérix.
Gazo, nouvelle star du rap français
Gazo enfonce le clou drill avec KMT, Fresh La Peufra tente de solidifier sa notoriété nouvelle due à sa victoire du télécrochet rap de Netflix Nouvelle École avec l’album À L’Abri, qui contient évidemment son hit Chop et invite deux des juges de l’émission, SCH sur Spéciale et Niska sur Allez Dehors. Shay, troisième membre du jury, devait être sur répondeur.
Lala &ce joue la carte de la mélodie autotunée avec le mini album SunSystem et Mouloud Mansouri propose huit ans après un premier volume la Saison 2 de sa Shtar Academy, projet collectif réalisé avec des détenus soutenus par quelques grands noms dont Lino, Le Rat Luciano, Rim-K, DA Uzi et Leto. Lomepal a quitté les réseaux sociaux mais frappe fort avec Mauvais Ordre, retour en force en prélude à ses trois Accor Arenas en mars 2023.
Autre retour, mais en mode crados, King Ju réactive Stupeflip pour Stup Forever, dans la lignée de ses précédents exploits, entre rap déglingué, rock indé et même reggae dévoyé sur Tellement Bon. Dosseh signe un album majeur avec Trop Tôt Pour Mourir, dont le titre Djamel est un récit authentique rappé à la première personne d’un survivant du Bataclan. Dinos, Lacrim et Tiakola sont parmi les invités de ce rimeur adepte du storytelling. Retour inattendu et réussi de Kayna Samet, qui fit une apparition surprise aux côtés de Booba pour chanter Destinée au Stade de France : Altaïr Part 1 est un EP qui montre que “la voix de la calle, du fin fond de l’Algérie” n’a rien perdu de son talent, et retrouve B2O sur Kayna (Remix). Chilla marque des points avec Ego, qui invite Sofiane Pamart, Tayc, Hatik et Louane sur ce 15 titres résolument féminin. Idem pour Lous And The Yakusa qui sort Iota, suite logique de Gore, avec Damso et Benjamin Epps en guests. Dinos passe son Hiver À Paris, SCH roule sur l’Autobahn et Gims fait le grand écart entre chanson et rap sur Les Dernières Volontés De Mozart, étrange mélange signé de celui qui remixa le générique du 20 Heures de TF1 et chanta devant un milliard de téléspectateurs au Qatar pour la Coupe du monde de foot.
La révélation B.B. Jacques
B.B. Jacques impose son univers poétique et unique sur New Blues Old Wine, un disque étonnant qui se termine avec l’incroyable Zandvoort Palace featuring Sofiane Pamart. Lorenzo le dingo au bob a affolé le Top album et fait trembler Mylène Farmer avec Légende Vivante, dont les titres sur le CD ont été tronçonnés en tranches de trente secondes, afin d’affoler l’algorithme de Deezer/Spotify et de multiplier les streams, une chanson étant considérée comme écoutée après trente secondes. Une vraie punk attitude, et une pochette folle signée, comme les meilleures depuis quelques années, par le grand Fifou, qui vient d’ailleurs de sortir ses Archives, un livre splendide de 550 pages façon coffee table book qui résume ses vingt ans de photographe/designer bousillé par le rap français.
SDM, signé depuis 2020 chez 92i (le label de Booba), a annoncé, en première partie de son boss au Stade de France, la sortie des Liens Du Sang, 17 titres qui font suite à Ocho avec, entre autres, le single Ragnar. Scylla représente la Belgique lyrique avec Éternel, Bosh roule des mécaniques avec Algorithme et Kohndo plane Plus Haut Que La Tour Eiffel tandis que Rockin’ Squat (qu’il écrit désormais RCKNSQT) lâche PP+ et duette sur Retweet avec Doc Gynéco, qui retrouve là des accents de sa Première Consultation, pour la plus grande joie de ses fans. Reste à mentionner le prolifique Lucio Bukowski qui a enchainé Les Dieux Ne Jouent Plus Au Billard Électrique, Asadachi Tape Vol. 2 et Matériel Boréal tout en sortant sous son nom de naissance, Ludovic Villard, le recueil de poésies Il Faut Toujours Se Préparer À Perdre.
On conclura ce copieux menu rap avec le très ambitieux projet du producteur Mani Deïz (Kool Shen, Lucio Bukowski, Swift Gad, etc.), The Symphony Of Dr. Olson, 31 minutes instrumentales avec des centaines de samples, une épopée musicale sans équivalent qui prouve que si le rap français grand public cherche parfois la facilité, certains créateurs et beatmakers jouent toujours la carte de l’originalité et de l’audace dans le hip-hop.
Pardon aux 700 projets de 2022 non évoqués ici, et à bientôt pour un 2023 qui promet d’être rapologiquement aussi riche et varié que cette année en voie d’extinction.
© 2022 Copyright RFI – All rights reserved
RFI is not responsible for the content of external websites
Attendance certified by the OJD