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Débrief à froid de la séquence de Limsa D’Aulnay qui a rendu fou les fanatiques et on vous explique pourquoi il faut nuancer ses propos sur Kendrick et Jul.
J.Cole, Kendrick Lamar, je peux pas écouter. C’est des mecs archi talentueux, immensément talentueux, mais ça me casse les ye-cou de ouf”. En mars 2022, quand Limsa d’Aulnay prononce une opinion somme toute assez banale en interview chez Alohanews, il ne s’attend pas à provoquer une telle tempête un peu moins d’un an plus tard. Reprise récemment sur différents réseaux sociaux dont TikTok, la séquence provoque de nombreux débats et des critiques féroces envers le rappeur aulnaysien.
Le principal reproche fait à Limsa par les internautes concerne la suite de son discours. Il ne s’arrête pas à un simple “on s’emmerde en écoutant J.Cole”, mais développe sur une thématique un peu plus casse-gueule : “Kendrick, c’est quasiment un Black Prophète. Il y a quasiment une volonté de mener, d’être un guide. C’est une posture qui m’embête. Les guides, c’est aux gens de les choisir, c’est pas à eux de s’imposer”. Si la réflexion de fond est pertinente, le fait de choisir l’exemple de Kendrick expose Limsa à une contre-argumentation vigoureuse : le rappeur californien a-t-il vraiment cherché à s’imposer comme un guide ? N’a-t-il pas simplement raconté son vécu avec sincérité, amenant malgré lui de nombreux auditeurs à se reconnaître dans son parcours, à s’identifier à ses combats ?
Pour ne rien arranger à ce bourbier, la suite de l’argumentation de Limsa contient l’ingrédient le plus explosif de tout débat sur le rap : une opinion positive sur Jul.Le meilleur exemple, c’est Jul. Il n’a rien demandé, mais tout le monde se reconnaît en lui. Tout le monde le voit comme le représentant des quartiers”. Là encore, la réflexion de fond a du sens, mais placer Jul et Kendrick Lamar dans une même conversation suffit à faire exploser internet. Tout le monde voit-il réellement Jul comme “le représentant des quartiers” ? A-t-il vraiment une posture plus humble que celle de Kendrick et J.Cole ? Avant de répondre à toutes ces questions, une petite remise en contexte s’impose, afin de bien comprendre toute la réflexion de Limsa.
D’abord, il faut rappeler que le sujet de la représentation avait déjà été abordé par Limsa en interview en 2020, toujours chez Alohanews : “Moi personnellement, je me sens représentant de rien du tout […] La représentation, c’est pas quelque chose que tu dois choisir. C’est quelque chose que les gens choisissent, ils choisissent qui les représente, c’est pas l’inverse. Un mec comme Jul, il n’a jamais choisi de représenter le quartier. Il est lui-même, il est Jul, et tous les mecs de quartier se reconnaissent en lui. Du coup, par la force des choses, ça devient une espèce de représentant. Mais en vrai, représenter le quartier … je trouve que c’est d’une prétention infinie, et en plus, c’est pas à toi de le choisir**”.** Son discours n’a donc pas évolué depuis, il n’a fait que répéter quelque chose qu’il avait déjà exprimé.
La partie dans laquelle Limsa estime qu’un artiste représentant le peuple, une communauté, ou un mouvement ne doit pas se choisir lui-même est probablement la moins sujette à critique. On peut bien entendu la discuter, en considérant au contraire qu’affirmer haut et fort que l’on souhaite représenter quelque chose constitue une forme de profession de foi, et donc un acte fort que l’on peut attendre d’un potentiel leader. On peut cependant difficilement nier qu’une personnalité qui parvient à s’imposer malgré elle, uniquement parce que de nombreuses personnes se sont reconnues dans ses textes, a encore plus de légitimité à représenter les siens.
Pour bien comprendre la réflexion de Limsa d’Aulnay, il faut également comprendre le contexte de l’interview, et ce qui l’amène à s’exprimer sur ce sujet. Quelques minutes avant d’avouer que la musique de J.Cole ne provoque pas un grand enthousiasme chez lui, il évoque d’abord l’état d’esprit avec lequel il a construit son projet Logique Part.3 : “j’ai essayé de le réfléchir comme un mini-album avec des thématiques, des fils rouges, des trucs qui se répondent, sans que ce soit quelque chose de frontal. Les gens qui ne vont pas capter les espèces de miroirs, ou les trucs auxquels moi j’ai pensé, il ne faut pas du tout qu’ils le ressentent**”.**
Après ce préambule, le rappeur aulnaysien développe à propos de son rejet de l’intellectualisation du rap : “Je vois pas ça comme le Da Vinci Code, avec des énigmes, si t’as envie de le faire c’est bien, mais c’est pas ça qui rend un projet intéressant […] Y’a plein d’albums qui sont moyens, ou juste corrects, qui sont pleins de thématiques et de sons qu’il faut écouter à l’envers pour comprendre ce que le mec raconte … moi ça me casse les ye-cou. Si j’ai envie de faire une énigme, je fais un escape-game, je vais pas écouter un album de musique que je dois capter en hiéroglyphes. J’ai pas envie de faire un effort intellectuel pour comprendre toutes les subtilités de ta grande musique”. A partir de là, N. Imambajev, l’intervieweur, rebondit et cite J.Cole et Kendrick Lamar, ce qui amène ensuite Limsa à développer son discours sur la représentation.
Pour résumer, Limsa d’Aulnay affirme trois choses :
– J.Cole et Kendrick Lamar sont talentueux, mais il se fait chier quand il les écoute.
Là-dessus, personne n’a rien à redire. Jean-Sébastien Bach est un des plus grands compositeurs de tous les temps, mais ça n’empêche pas que la majorité des auditeurs s’ennuie profondément en écoutant son œuvre. Limsa a donc tous les droits de ne pas s’ambiancer sur Lights Please de J.Cole ou de ne pas twerker sur Element de Kendrick.
– Jul n’a jamais choisi de représenter le quartier, c’est le peuple qui l’a choisi.
Evidemment, tout le monde ne se sentira pas forcément représenté par l’auteur de Coeur Blanc, mais on ne peut pas nier l’énorme influence du marseillais sur la jeunesse française, en particulier dans les quartiers populaires. Limsa a également tout à fait raison sur le fait que Jul n’ait jamais cherché à obtenir ce statut : ce sont sa personnalité, ses textes, son humilité, qui ont fini par faire de lui un exemple.
– Kendrick a une posture de guide auto-proclamé
Là ça coince, puisque Kendrick est vraiment le type de rappeur que l’on pourrait considérer comme “choisi par le peuple”. C’est un rappeur engagé, beaucoup se reconnaissent dans son vécu ou dans sa personnalité, et on ne peut pas vraiment affirmer qu’il ait poussé qui que ce soit à le mettre sur un piédestal. Au contraire même, puisqu’il répète assez régulièrement dans ses textes qu’il n’est pas un sauveur, et qu’il ne peut pas endosser la responsabilité de porter seul sur ses épaules tout un mouvement.
Reste à savoir ce qui induit Limsa en erreur. Kendrick souffre du même problème que beaucoup de rappeurs, y compris parmi les rappeurs français : leurs auditeurs sont parfois trop fanatiques, trop impliqués, trop matrixés, et finissent par rendre leur artiste préféré insupportable aux yeux des autres. En France, il suffit d’observer les fan-bases de Booba, Damso ou PNL. Certains auditeurs sont incapables de remettre en question leurs idoles, de les voir autrement que comme des génies absolus, ou de ne pas dénigrer les autres artistes pour mettre le leur sur un piédestal.
C’est un peu ce qu’il se passe avec Kendrick, à quelques différences près : le californien n’en joue pas du tout, et invite même ses fans à prendre du recul ; s’il est aussi suivi, ce n’est pas simplement pour sa musique et son aura de star, mais bien parce qu’il représente, aux yeux de toute une communauté, un combat plus large. Si l’aspect engagé de ses textes lui confère forcément un rôle de leader, il est difficile d’affirmer qu’il ait poussé qui que ce soit à faire de lui un guide.
Il est aussi possible que Limsa fasse référence à la dimension parfois très spirituelle de l’œuvre de Kendrick. Certains titres peuvent être interprétés comme de véritables prêches, et on se souvient que l’auteur de DAMN avait affirmé en interview chez Complex qu’il croyait accomplir la volonté divine en se servant de sa voix comme d’un instrument (“God put something in my heart to get across and that’s what I’m going to focus on, using my voice as an instrument and doing what needs to be done”). Si Limsa a forgé son opinion de Kendrick en se basant sur ces propos, on comprend mieux les raisons qui le poussent à parler de lui comme d’un guide autoproclamé.
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